Je m'appelle Bérénice.
Dès l’âge de 16 ans, je me sentais femme.
Pourtant, j’avais une amante, et je n’étais pas attirée par les hommes, malgré ce que croyait… tout le monde (et pourtant, j'ai essayé!).
Ce n'est pas une question de sexualité, mais d’identité, de rapport à soi et aux autres - de “rôle” (au sens sociologique).
- Dans mes relations, je comprenais mieux les filles que les garçons.
- Politiquement, j’étais solidaire des femmes, j’empathisais avec leurs soucis (on m'a reproché mon féminisme...).
- Dans mon imaginaire, je m'identifiais à des femmes (et suis devenue romancière, parce que... pas beaucoup d'héroïnes).
- Ma conception de l’amour, les espoirs et attentes que j’en avais, étaient ceux qu’on enseigne aux filles.
- Le plus significatif, c'était ma conception de l’intimité. Ma façon d’exprimer mes sentiments, mon intérêt pour autrui, mes attentions amoureuses.
- De même pour mon rapport à mon corps, au toucher - et de mon rapport avec le corps d'autrui. Ma façon de ressentir le désir, le rapprochement avec l’autre.
Mes amantes disaient que je faisais tout (même l’amour) "comme une fille".
À 19-20 ans, ne supportant plus la souffrance d’être perçue comme homme, je consultai des médecins et des experts pour demander un "changement de sexe" - la seule option disponible à l’époque. Cela aurait été, dans mon cas, une mutilation, car faire l’amour était ma principale source de joie. Mais, la dysphorie de genre était encore plus insupportable.
Que les déesses soient louées, les médecins me refusèrent l'opération. Ils me renvoyèrent à la psychothérapie. J'ai enterré mon vrai prénom; et suivi plus de 25 ans de thérapies diverses, complétées par des lectures en pagaille… Le message que j’ai reçu était :
- "Ton corps est mâle, donc tu es un homme par définition.
- “On peut être un homme sans être un rectum (!). De nombreuses femmes seront ravies de trouver un homme différent des clichés".
Vous savez quoi ? J'ai réussi à croire ça. Mais malheureusement, c'est faux.
Et bien sûr, ça n’a pas fonctionné, malgré mes efforts. J’étais comme une poule essayant de mener une vie de canard. Je donnais le change de façon plus ou moins crédible, j'avais certains avantages, mais tout était difficile… et finalement, échouait.
- Les femmes que j'aimais me quittaient sans comprendre pourquoi (parce qu'elles avaient un désir de masculinité que je ne comblais pas),
- Tout le monde me croyait gay jusqu'à preuve du contraire (et même avec preuve...). J'étais sans cesse draguée par des hommes - certains courtois, d'autres, franchement agressifs.
- Mais surtout, il y avait des malentendus permanents car tous nos gestes et paroles sont interprétés par le filtre de suppositions liées au genre (je pourrais accumuler les exemples)…
Au final, ma vie personnelle et sociale était... un désastre.
C’est à 45 ans que j’ai découvert que la science actuelle donnait raison à mes intuitions d’adolescente. Après 25 ans à me rééduquer sur la structure “classique”, il m’a fallu 5 ans de recherches et de travail intérieur, pour comprendre le paradigme qui me libérerait, et admettre, sur un socle scientifique, ce qui m’était évident quand j’avais 16 ans (et évident à la plupart des personnes trans, et pourtant très difficile à expliquer aux autres).
[L’accès à ces connaissances, à cette compréhension, n'est pas facile. J’ai tellement étudié les genres que je suis devenue experte des rapports F/H. Et je comprends les personnes qui ne comprennent pas ce qu’est le genre. J’ai constaté que la capacité à comprendre et admettre ces concepts est très corrélée au fait d’être né.e avant ou après 1990 (année de publication de Judith Butler, “trouble dans le genre”). De fait, je crois qu’une partie de la transphobie est liée, non pas à l’intolérance, mais à un pur blocage cognitif.]
C’est le coaching qui m’a libérée.
Mes coaches m’ont donné l’espace pour prendre conscience de ce que je voulais et devais faire. C'est un outil incroyablement puissant. Lae coach pose des questions méthodiques, et ne donne pas d’avis ou de suggestion (sauf demande explicite, et encore). Ça paraît basique dit comme ça, mais ça ouvre la voie à la compréhension et la transformation... incroyable. Et ce n'est pas évident de tenir cette posture (tenir sa langue). Je dirais que la méthode coach consiste à “disparaître” .
Mes collègues et profs ont été étonnés par ma capacité à adopter cette posture. Mon superviseur a commenté : “c’est normal. En 30 ans de placard, tu as acquis une grande expérience dans l’art de disparaître. C’est génial que tu aies réussi à transformer cela en atout”…
Le coming-out est libérateur. La fin d'un mensonge.
A l'heure où j'écris ceci, début 2024, cela fait un an et demi que je sors du placard, un an que j'ai commencé les démarches - et 3 mois depuis le début du traitement (il m'a fallu 8 mois pour avoir un rendez-vous endocrinologue !). Le parcours sera encore long, avec des moments inconfortables. Mais mieux vaut un chemin difficile qu'un cul-de-sac.
Le fait que les autres sachent que je suis femme et emploient le féminin dans leur langage, me permet progressivement d’avoir des relations beaucoup plus saines, sans ces malentendus innombrables et permanents. De juguler toutes ces interprétations erronées... L’effet a vraiment été radical.
Certes, j'ai encore des incompréhension et des malentendus., comme tout le monde (c'est la condition humaine). Certes, il y a du rejet. Évidement, rien n’est simple. Mais, franchement? Ma vie relationnelle est déjà infiniment meilleure! Je vis tellement plus de compréhension, d’empathie, de qualité de relation… C’est le jour et la nuit !
Le changement progressif d'apparence va évidemment renforcer cette qualité de compréhension instinctive, de relations, et donc... me permettre une vie sociale presque normale (c'est-à-dire compliquée, comme tout le monde). Voilà. Finalement, le fait d’affirmer que je suis transgenre, que mon prénom est Bérénice, et que mon genre est féminin, est indéniablement une libération.